jeudi 24 avril 2008

Mais que devient Mohamed Tadjer?

Qu'est ce qui constitue l'originalité de la culture républicaine française? Refusant de choisir entre droit du sol et droit du sang, l'identité républicaine française se fonde essentiellement sur le droit du coeur. Ce droit du coeur c'est la foi quasi religieuse dans des valeurs de liberté, d'équité, de solidarité, de justice ou de progrès.

Confrontée à l'immigration, à la mondialisation ou au communautarisme, la France se doit de maintenir sa croyance dans une Nation qui soit « une communauté des rêves » pour reprendre l'expression d'André Malraux, et non pas dans une conception basée sur des critères ethniques ou religieux.

Pourtant cette conception idéaliste du citoyen français souffre difficilement de sa confrontation avec le réel, comme le prouve l'histoire de Mohamed Tadjer.
L'histoire se déroule à l'automne 2005. Mohamed, franco-algérien de trente six ans, officie comme chauffeur de bus en Seine-Saint-Denis.
Le 2 novembre 2005 au soir il fait entrer Joëlle, handicapée physique, dans son bus. Quelques secondes après avoir redémarré, une poubelle en flamme bloque la route. Un chiffon imbibé d'essence est jeté par sa fenêtre. Mohamed Tadjer ouvre alors toutes les portes et invite les passagers à descendre. Deux hommes entrent alors dans son bus et vident un bidon d'essence sur la handicapée, un autre homme allume un briquet et commence à mettre le feu à la femme.
Mohamed retire alors la femme de son bus, fait tout pour éteindre le feu avec sa veste et ses mains, et retourne dans le bus alors en flamme pour reprendre le sac de la femme (et le lui redonner...).

Légèrement blessé, Mohamed est sollicité par différents médias et reçoit des propositions financières qu'il refuse. Il se réfugie en Algérie pour y trouver un peu de calme. Il apprend alors que Jacques Chirac veut le nommer à titre exceptionnel au grade de chevalier de l'ordre national du mérite. Il rencontre alors Nicolas Sarkozy, Dominique de Villepin, Jean François Copé...
Puis vient le retour à Montfermeil.

Un jour son amie découvre un mot sur son pare-brise : « dis à ton petit chéri de fermer sa gueule ». Puis viennent les menaces directes : « on sait où tu habites », « on va t'égorger ». Mohamed dépose des mains courantes mais refuse de balancer quiconque.
Comme solution on lui propose alors une affectation dans les Alpes-Maritimes. Sa femme refusant de le suivre, la mutation capote. Il abandonne alors son CDI comme chauffeur et son employeur le reprend en intérim. Sa femme fait une fausse couche et le quitte. Menacé dans son quartier, il rend les clés de son appartement.
Mohamed fonctionne alors aux anti-dépresseurs et utilise le SAMU social pour se laver, refuse de revoir ses parents de crainte de les inquiéter au vu de sa descente aux enfers. Un peu comme le maréchal de Montluc qui au seizième siècle préférait cacher ses blessures au visage derrière un suaire par honte, alors que ces blessures étaient pourtant des blessures de guerre.

Au moment où le quotidien « Le Monde » l'interrogeait – le 26 octobre 2006 – Mohamed Tadjer, cet homme qui a sauvé une handicapée des flammes lors des émeutes de banlieues de novembre 2005, avait tout perdu : son CDI, son appartement, sa petite amie. Il lui restait seulement une mallette dans laquelle il gardait les médailles remisent par Jacques Chirac ou Nicolas Sarkozy, et les courriers de félicitations de François Hollande ou de Christian Estrosi.
Au moment où le quotidien « Le Monde » l'interrogeait, Mohamed Tadjer dormait dans une voiture sur des parkings, devenu SDF à cause de son courage et des conséquences qui l'ont suivies.
Depuis cet article aucune nouvelle publique de Mohamed. L'article du Monde indique seulement que ses employeurs se sont activés pour l'aider à sortir de sa galère.

Quelle que soit la situation actuelle de Mohamed Tadjer son histoire laisse à réfléchir. Un homme qui sauve une handicapée lors des émeutes de banlieues de novembre 2005, subit les conséquences de son acte, et finit dans la plus grande discrétion médiatique et politique sans domicile fixe, condamné à passer ses nuits à dormir dans sa Clio sur des parkings. Avec rien d'autre qu'une mallette. Et des médailles offertes par la République reconnaissante.
La République n'est pas, il nous reste à la faire éclore. Cette République qui advient, cette République qui vient c'est nous qui la feront. Ou non.


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