dimanche 8 mars 2009

Du secret bancaire (interview d'Arnaud Montebourg au journal "Le Matin", 24/02/09)

Monsieur Montebourg, les pressions américaines sur la Suisse et son secret bancaire vous réveillent. Vous voilà reparti en guerre contre les banquiers helvétiques?
Je fais effectivement partie des pionniers qui combattent ce pillage économique. La pression actuelle sur la Suisse est liée à la crise économique. Les Etats qui avaient fermé les yeux sur les prédateurs que sont les paradis fiscaux sont confrontés à une grave crise d'endettement. Ils ont besoin de milliards pour sauver leur système financier et leur économie réelle. Ils ne peuvent plus laisser l'argent s'enfuir.

Et ils vont le chercher là où il se trouve?
Exactement. Pour moi, le secret bancaire est condamné. Et il n'y a que les autorités suisses qui font semblant de ne pas le comprendre. La disparition du secret bancaire va d'ailleurs dans le sens de l'histoire et dans celui d'une plus grande justice. Il n'y a en effet aucune raison d'accepter que les plus riches et les acteurs économiques les plus prospères puissent échapper au fisc quand le simple travailleur est obligé de payer ses impôts. Cette injustice est un facteur d'explosion sociale.

Bref, vous estimez que la Suisse n'a aucune chance de s'en sortir cette fois?
La Confédération est condamnée, sous la pression internationale, à changer. Elle doit abandonner le secret bancaire si elle ne veut pas être mise au ban des nations.

D'accord, mais à ce tarif, l'Union européenne (UE) devrait aussi balayer devant sa porte et ouvrir le dossier du Luxembourg et des paradis fiscaux anglais!
Vous avez raison. Mais je vous rappelle que la pression de l'UE sur le Luxembourg a été si forte que son premier ministre a accepté de parler de la levée du secret bancaire. Londres est aussi dans notre collimateur. Quant aux banques françaises qui ont des succursales dans les paradis fiscaux, elles sont l'objet d'un débat. Ne vous inquiétez pas: la Suisse n'est pas la seule concernée.

Mais rassurez-nous, les Européens n'accusent tout de même pas les Suisses d'être responsables de la Berezina économique mondiale?
Certainement pas et je n'ai jamais dit cela. Dans ce contexte, la stratégie américaine de criminalisation de l'évasion et de la fraude fiscales encouragées par les banques suisses, et plus particulièrement d'UBS, est parfaitement raisonnable et justifiée. Je vais d'ailleurs proposer une telle démarche en France. Le fisc devra pouvoir utiliser les instruments de la procédure pénale contre la criminalité organisée pour lutter contre l'évasion fiscale dans les paradis fiscaux.

Et vous pensez que cela suffira pour faire peur aux irréductibles banquiers genevois et zurichois?
Soyons clairs: les banquiers suisses sont coupables d'aggraver les déficits publics de nombreux Etats, d'aider et de protéger des délinquants, des gens qui ne respectent pas le civisme. Je vous rappelle que la fraude fiscale est une infraction dans de nombreux pays. A ce titre, les banques suisses se rendent coupables de complicité et de recel.

Que demandez-vous au Conseil fédéral?
Je lui lance un appel: il est temps d'abandonner le secret bancaire. On ne peut pas bâtir des bénéfices sur la violation de la solidarité internationale.

Ça sonne comme une menace?...
Les mesures de sanction sont inéluctables, comme notamment les embargos financiers. In fine, l'Europe finira par remettre en question ses accords bilatéraux avec la Suisse.

Mais c'est une déclaration de guerre?
La Suisse est malheureusement encerclée et sous la pression internationale. Si elle veut retrouver des relations normales avec l'UE, elle est condamnée à organiser la fin de la protection de cette délinquance internationale dont elle est le sanctuaire. La Suisse a devant elle quelques mois pour s'autoréformer avant qu'elle ne soit obligée de le faire dans la douleur.

Franchement, vous avez une dent contre la Suisse?
La Suisse est un grand pays qui a porté des valeurs universelles et humanistes depuis sa création. Et cela me chagrine de voir qu'elle est en train de détruire sa réputation internationale en organisant la solidarité autour de ses banquiers. Les tenants et les défenseurs du système bancaire suisse symbolisent aujourd'hui ce qu'il y a de plus repoussant et d'immoral dans le capitalisme actuel qui est en faillite.