mercredi 9 janvier 2008

Quand Cinquième République rime avec monarchie

D'ici quelques mois la Cinquième République va fêter son cinquantième anniversaire. L'occasion de faire un petit bilan de cette République née dans des conditions douteuses, et maintenue dans les mêmes conditions. Cet article se focalisera sur le pouvoir exécutif.

La pensée politique du Général de Gaulle s’enracinait dans les écrits du penseur Charles Maurras (1858-1952) qu’on pourrait qualifier de « papa de la Cinquième République ». S’il n’a pas retenu son racisme, son monarchisme et sa volonté de décentralisation, il s’est tout de même inspiré de son nationalisme, de son anti-parlementarisme et de son goût pour l’autoritarisme. Le système idéal selon Maurras serait le césarisme qui prône un lien direct entre le Peuple et son dirigeant, sans contre-pouvoir susceptible de parasiter la Volonté Générale. D’où le recours aux référendums, l’élection du Président au suffrage universel direct (1962), les chantages à la démission.

Dans la Constitution, l’article 5 ne lui confère qu’un rôle d’ « arbitre », terme juridiquement très flou, or le sociologue allemand Max Weber affirmait que l’intérêt d’un texte constitutionnel n’est pas ce qu’il dit mais plutôt ses silences qui sont autant de réserves de pouvoir.
Mis à part ce rôle la Constitution lui confère des pouvoirs très étendus: il peut soumettre des référendums (article 11), dissoudre l’Assemblée Nationale (article 12) et dirige la politique étrangère (article 15).
Concernant les référendums, de Gaulle a considérablement étendu son recours suite à un coup d’Etat juridique : alors que l’article 89 prévoit spécifiquement un vote du Parlement pour toute révision constitutionnelle, de Gaulle s’est appuyé sur l’article 11 sur l’organisation des pouvoirs publics, et ce pour un sujet mineur qui n’était que le mode d’élection du Président… de Gaulle affirmait qu’une Constitution c’est un texte, un esprit, une pratique. Par ses pratiques il a bien éclairé sur l’esprit qu’il souhaitait donner aux institutions.

Autre problème : la politique internationale. De Gaulle a inventé un concept politique, celui du « domaine réservé ». Selon ce concept, la politique internationale serait par essence du ressort du Président (on se demande d’où viendrait ce principe : de l’Ancien Testament biblique peut être?). A ce titre le Président gère ces dossiers, sans obligation d’avertir le Premier Ministre ou le Parlement, la seule limite résidant dans les cas de déclarations de guerre où il doit informer le Parlement, mais la pratique est plus que restrictive puisque la dernière fois que cette obligation a été utilisée c’était…en 1939. C’est-à-dire que ni la guerre d’Indochine, ni les « évènements » d’Algérie, ni les interventions au Liban ou au Kosovo ne furent contrôlées par le Parlement. Ainsi se développe une diplomatie occulte, l’exemple typique étant le Rwanda avec qui les différents Présidents depuis 1970 ont signé des accords bilatéraux de coopération militaire. Dès lors l’armée française fut spectatrice du premier rang du génocide de 1993, sans capacité d’intervention mais aussi malheureusement sans pop corn. Ce type d’accords sont nombreux avec les pays africains et Madagascar.

Par ailleurs la pratique a encore accéléré ces pouvoirs : l’existence du « fait majoritaire » depuis 1962, qui veut que le groupe dominant à l’Assemblée soit un groupe majoritaire et discipliné à son parti, a encore accru les prérogatives réelles du Président qui est Chef de l’Etat mais aussi chef de la majorité ou de l’opposition parlementaire. En outre le quinquennat et surtout la coïncidence entre les années d’élections présidentielles et législatives et l’inversion des calendriers électoraux, qui fait que la présidentielle précède les législatives, ont réduit le Parlement à une armée de petits soldats.

Le plus inquiétant est l’article 16 qui accorde au Président un pouvoir de dictature de fait en cas de circonstances exceptionnelles. Ces dispositions devraient être plus encadrées. Ainsi le Président doit consulter le Premier Ministre et les présidents des assemblées et du Conseil Constitutionnel, mais sachant que lorsqu’il devait consulter Gaston Monnerville, ancien président du Sénat, de Gaulle se contentait de lui envoyer un courrier l’informant de son bon vouloir on comprend que ces dispositions ne sont guères contraignantes. L’article 16 ne peut raisonnablement demeurer un pouvoir propre sous peine de mépris de tout principe démocratique, ce pouvoir doit être partagé avec d’autres entités politiques. Par ailleurs il conviendrait de définir strictement dans un texte le contenu exact et exhaustif de la notion de « circonstances exceptionnelles ». En effet tous les Présidents n’ont pas l’omniscience du Général.

Pour ce qui est de sa responsabilité, le principe selon lequel tout pouvoir entraîne une responsabilité ne concerne pas le Président: il est seulement responsable devant le Peuple tous les cinq ans même si son parti échoue à des élections législatives ou s’il est désavoué suite à un référendum. S’il peut remettre en cause sa responsabilité devant le Peuple par le biais d’une dissolution, même s’il est désavoué (il ne s’agit bien sûr que d’un exemple…) il conserve le pouvoir. Pénalement, en vertu de l’adage monarchique « le Roi ne peut mal faire », elle est très réduite puisqu’elle n’est engageable qu’en cas de « haute trahison » (article 68), ce qui réduit considérablement les hypothèses. Ainsi Jacques Chirac, mis en cause dans de nombreuses affaires avec une dizaine de chefs d’inculpation (prise illégale d’intérêt, détournements de fonds publics…) n’a jamais été inquiété. Monarchie quand tu nous tiens… D’ailleurs lors de sa mise en cause au Parlement, seule une trentaine de parlementaires ont signé ce texte. Solidarité professionnelle quand tu nous tiens…

Concernant le Premier Ministre, celui-ci est soumis de fait au Président de la République: l’article 8 de la Constitution donne au Président le pouvoir de nommer le Premier Ministre, ce qui engendre de fait une subordination entre ces deux pouvoirs. Si le droit de révocation n’est pas autorisé de droit, celui-ci s’applique dans les faits: certains premiers ministres de la Cinquième République ont ainsi affirmé que le Président (il s’agissait de de Gaulle et de Pompidou) leur faisait signer des lettres de démission avec une date en blanc.

En outre ce qu’il y a de plus scandaleux c’est que la Constitution accorde au Gouvernement le pouvoir de déterminer et de conduire la politique de la Nation (article 20), alors que son dirigeant, le Premier Ministre, n’est pas nommé par le Peuple. Le Peuple aurait-il élu, si on l’avait consulté à cette époque et s’il avait dû s’exprimer par les urnes, des hommes tels qu’Alain Juppé ou Jean Pierre Raffarin? La pratique gaulliste consistant à placer ses amis ou un fusible comme Premier Ministre est une véritable atteinte à la démocratie. Pour mémoire Jean Pierre Raffarin a présenté quatre lettres de démission qui ont été rejetées par Jacques Chirac. Louis XVI est-il vraiment mort?

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