lundi 28 janvier 2008

Les multinationales de l'eau et le financement occulte des partis politiques

Parfois la politique c'est un peu comme le film de Night Shyamalan « Sixième Sens » : un coup de théâtre final nous permet de réexaminer le passé de manière différente.
C'est un peu ce qui s'est passé avec le domaine de l'eau. Alors qu'il est secrétaire général du RPR, Jérôme Monod décide de tout abandonner afin de diriger la Lyonnaise des eaux. Beaucoup s'imaginent alors que ce conseiller de Jacques Chirac a délaissé la politique, mais le futur permettra de se rendre compte qu'au contraire il n'en a jamais été aussi proche.

Si les multinationales de l'eau ont connu leur virage à la fin des années 70, celles-ci existent depuis le dix neuvième siècle. Les communes octroient à des entreprises privées la gestion du système d'eau, qui bénéficient de monopoles et de droits d'exploitation de longue durée.
Dans les années 60 est institué leur financement basé sur le principe du pollueur-payeur : ainsi les particuliers qui consomment 5 % de l'eau acquittent 80 % de la facture, les industriels qui en consomment 15 % acquittent bien 15 % de celle-ci, les agriculteurs eux qui consomment 80 % de l'eau n'acquittent elle que 5 % du financement.
Tout ce monde vit tranquillement dans son monopole. Le tournant a lieu à la fin des années 70 quand Guy Dejouany et Jérôme Monod prennent la direction de la Générale des eaux et de la Lyonnaise des eaux.

Les deux entreprises ont en commun leur participation au financement des partis politiques.
Le premier parti à mettre en place ce type de système est le PCF, qui est exclu des financements traditionnels, qui institue des prélèvements de 1 à 3 % sur les travaux ou prestations. Le RPR utilise le même système lorsqu'il est éloigné du pouvoir par Giscard d'Estaing ou Mitterrand. Et le système se généralise. Les compagnies des eaux sont par ailleurs généreuses : prêt de main d'oeuvre pour les services d'ordre, financement de maillots pour le club de foot local...en contre partie de tarifs plus élevés ou de l'obtention de nouveaux marchés. Dans la discussion pour le programme commun de la gauche en 1976, la perspective de nationaliser les compagnies de l'eau est peu évoquée. Et en 1982 lorsque Saint Gobain lance une attaque contre la Générale des eaux, Guy Dejouany fait intervenir André Rousselet, proche de François Mitterrand pour stopper les attaques.

La décentralisation est un véritable cadeau du ciel pour les multinationales de l'eau : elles sont moins contrôlées, elles effectuent un lobbying auprès des élus, et profitent de l'hégémonie idéologique du thatchérisme pour proposer de privatiser les services des eaux. Des arguments qui convaincront Jacques Chirac à Paris en 1984.
Mais rapidement les cas de corruption apparaissent : Boucheron, Urba, Gifco, HLM de Paris, lycées d'Ile de France, Noir, Carignon, mais aussi des cas communs de dessous-de-tables, des emplois fictifs, des cadeaux (rénovations de logements, voyages gratuits...).

L'affaire Carignon est un parfait symbole des pratiques : Alain Carignon octroie la concession du marché de l'eau à la Lyonnaise des eaux à Grenoble, en contrepartie d'un soutien financier. Et celui-ci est important : logement boulevard Saint-Germain, voyages gratuits, croisières gratuites, chauffeur, leçons de cours d'anglais! En 1989 le service d'eau est privatisé, les tarifs augmentent de 30 %.
Mais le cas n'est pas isolé car d'autres villes sont touchées par le même système : Saint Etienne, Veynes, Colmar, Saint-Pierre-de-la-Réunion.
L'opinion publique étant scandalisée, le législateur réagit par le biais de la loi Sapin du 29 janvier 1993 qui impose entre autres plus de transparence et de sanctions. L'évolution est positive, mais d'autres pratiques douteuses apparaissent. En 1996 Guy Dejouany est remplacé par un certain Jean Marie Messier, celui-ci récupère les « provisions » (versements effectués par les collectivités pour que les compagnies effectuent des travaux) pour Vivendi, et n'effectue aucun des travaux prévus.

Au final le bilan est très négatif sur l'eau : pollution, eau de qualité moyenne.
Les choses évoluent lentement grâce à la pression des usagers et des associations de consommateurs. Mais même si les Goliaths se font battre par des Davids de plus en plus nombreux, le système demeure malgré la vigilance et la persévérance de la société civile. Pour l'instant.

Source : « Histoire secrète de la Cinquième République » (article de Martine Orange)

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