vendredi 18 janvier 2008

La mafia des inspecteurs des finances

Dans son ouvrage « Les Intouchables » Ghislaine Ottenheimer s'attaque à l'élite de l'élite française : l'inspection des finances. Cette profession qui a pour charge le contrôle des services financiers de l'Etat, recrute annuellement les cinq meilleurs énarques consentants à cette fonction. Si cette élite a pendant des années servis a modernisé la France, aujourd'hui elle connaît différentes dérives : le pantouflage, les problèmes judiciaires, la recherche de la carrière et de l'argent facile au détriment de l'intérêt général font que la caste vit une certaine décadence.
Pour illustrer ces déviances quelques exemples sont très illustratifs, car les entreprises qui ont connu les plus grandes faillites ces dernières années étaient dirigées par des inspecteurs des finances : le Crédit Lyonnais (Jean-Yves Haberer), Vivendi (Jean Marie Messier), France Télécom (Michel Bon), Alstom (Pierre Bilger), on peut aussi ajouter Bull, AGF, UAP, GAN ou Moulinex.

Si nous avons déjà eu l'occasion de nous intéresser aux motifs de tels échecs (cf « Nos dossiers » : Des hauts fonctionnaires), l'objet de cet article est surtout de s'intéresser aux problèmes judiciaires de la caste. Car les chiffres sont éloquents : alors que 0,1 % des Français ont été mis en examen, 5 % des inspecteurs des finances l'ont été!

Un des motifs de ces chiffres, c'est que la caste a l'habitude de travailler par réseau : à la sortie de leur formation ils reçoivent un annuaire avec les coordonnées de tous les membres de la caste. Avec des risques de délits d'initiés ou de conflits d'intérêt. Et ce réseau intéresse aussi les recruteurs qui engagent parfois des inspecteurs des finances dans ce but, même s'ils ont connu de grandes déconvenues dans le passé. Comme le dit Ghislaine Ottenheimer, « on se connaît, on s'informe, on se coopte ». La caste cultive aussi son goût des réseaux par le biais du pantouflage, à savoir les allers-retours entre le public et le privé facteurs de conflits d'intérêts.

Autre motif : l'arrogance de la caste, vis-à-vis du politique ou du monde judiciaire. Ainsi au cours d'un procès un avocat s'est exclamé : « mon client ne ment pas, il est inspecteur des finances »...d'où un esprit de croyance en son infaillibilité, en son omniscience, en son impunité.

Et Ghislaine Ottenheimer peut se baser sur différents cas concrets.
Ainsi Alstom, dirigée par un inspecteur des finances, Pierre Bilger, était en crise il y a quelques années. Pour régler sa situation les dirigeants se tournent vers l'Etat et donc le contribuable. Le ministre de l'Economie de l'époque Francis Mer demande conseil à différents interlocuteurs ...tous inspecteurs des finances (Muscal, Pérol, Jaffré, Jouyet, Pébéreau, Prot, Bouton) qui l'invitent à choisir cette solution, au bénéfice des banques qui pouvaient être mises à contribution dans le dossier, toutes dirigées par des inspecteurs des finances. Solution pourtant critiquée par Monti, commissaire européen à la concurrence. Dans ce dossier la caste était à tous les échelons de la négociation : cabinet ministériel, banques, Alstom, Trésor.

Il y a aussi l'affaire Cegelec, filiale vendue à 50 % de sa valeur originelle à un pool d'investisseurs ayant des liens amicaux ou « de caste » avec les responsables d'Alstom (ex-propriétaire de la Cegelec). Dans d'autres cas (Vivendi, Crédit Lyonnais), les dépeçages de ces sociétés ont donnés lieux à des grands profits pour les potes de formation.

Mais il y a eu aussi des mises en cause dans le cadre de scandales collectifs : affaire du sang contaminé, des écoutes téléphoniques de l'Elysée, affaire Elf, affaire des frégates de Taïwan, financement occulte du RPR (comme les emplois fictifs). D'autres inspecteurs ont été mis en cause dans des affaires de blanchiment de capitaux (Daniel Bouton, Henri de Castries), d'autres dans des cas de délits d'initiés (exemple : Jean-Charles Naouri : 53 000 € de plus-value!), d'extorsion de fonds ou de prise illégale d'intérêt.

Deux cas sont pourtant plus graves.
Jean-Maxime Lévèque qui après une brillante carrière présida IBI Holding company. Cette société fut mise en cause dans différentes affaires : trafic d'armes avec l'Iran, commissions occultes, maquillage des comptes, et des erreurs qui coûteront un milliard d'euros au Crédit Lyonnais.
Autre cas : François Heilbronner, qui lui aussi a fait une carrière plus que respectable, est mis en cause pour « escroquerie en bande organisée avec appel public à l'épargne, faux et usage de faux ». Avec son gendre, un certain Imad Lahoud, ils commercialisaient un fonds spéculatif situé dans un paradis fiscal. Ils le commercialisent auprès de banques et de compagnies d'assurance. Au final 42 millions de dollars s'évaporent. Et des fonds recueillis grâce à des faux documents pour crédibiliser le fonds.

Le service central de prévention de la corruption met aussi en cause le pantouflage dans un rapport de 2000. Avec des cas très concrets.,
Ainsi Bruno Crémel, ex-cadre du Trésor, est allé pantoufler au groupe Pinault-Printemps-Redoute en 1998. En 2000 il devient directeur de cabinet du ministre de l'Economie Laurent Fabius, avant de rejoindre le groupe Pinault en 2002. Notons qu'au même moment François Pinault avait conclu avec Laurent Fabius une transaction, afin de régler ses problèmes avec le fisc.
Philippe Marini, sénateur-maire, et ex du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) et du groupe Lagardère, a lui été soupçonné de trafic d'influence : il serait intervenu dans la création d'Areva (fusion de la CEA, de Framatome et de la Cogema) pour le compte de la société Gimar dont il est membre du conseil du surveillance et qui conseillait la Cogema (qui bénéficiera de commissions particulièrement de 18 millions de francs). La présidente d'Areva, Anne Lauvergeon, réalisera un audit. Au cours de cet audit sera découvert un fax démontrant que Philippe Marini a usé de sa position au Sénat (commission des finances) au cours de la fusion.

Alors conspirationnisme anti-élite? Acharnement de juges rouges? Le magazine « The Economist » réponds dans une enquête de juin 1999 sur la haute administration française : « Elitisme et corruption : les deux mamelles de la France ».

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