mercredi 26 décembre 2007

L'affaire Elf et des frégates de Taïwan

Les années 90 ont été sans nul doute la décennie des affaires politico-financières : entre le scandale des financements occultes des partis politiques (affaires de la Mairie de Paris, affaire Urba), des faillites retentissantes au frais du contribuable (Crédit Lyonnais), affaires Tapie, corruptions liées à l'eau (affaires Carignon, Noir...), et scandales médicaux (sang contaminé, amiante...).
L'affaire Elf et des frégates de Taïwan fait elle aussi parti des affaires de cette époque, et symbolise dans son contenu toutes les déviances de la Cinquième République.

Pour résumer, entre 1967 et 1994 un système de fraude, de détournements financiers et de corruption a fonctionné au sein de l'entreprise Elf, notamment grâce à une caisse noire. Dans le cadre de l'affaire des frégates de Taïwan, la direction d'Elf a procédé à des surfacturations afin de payer des commissions occultes, et des rétrocomissions (argent qui retourne à l'acheteur dans un marché, elle permet la rémunération des intermédiaires, généralement via un paradis fiscal) pour un montant de 450 millions d'euros, a des détournements atteignant 300 millions d'euros, elle a aussi employé des lobbyistes, dont la fameuse Christine Deviers-Joncour, à des salaires faramineux, et utilisé des emplois fictifs.

L'affaire commence en 1993 : après la présidence de Loïk Le Floch-Prigent, nommé par François Mitterrand, Edouard Balladur nomme un des ses proches, Philippe Jaffré, à la tête d'Elf. Dans un but de transparence celui-ci demande à un cabinet d'audit d'éplucher les comptes de l'entreprise.
Celui-ci découvre ainsi que depuis 1990 Elf a financé une entreprise de prêt-à-porter appartenant à un ami de Loïk Le Floch-Prigent, Maurice Bidermann, à hauteur de 120 millions d'euros.
La juge chargée de l'affaire, Eva Joly, considère ce fait comme un abus de biens sociaux, mais malheureusement pour Philippe Jaffré, et beaucoup d'autres, l'investigation d'Eva Joly ne s'arrête pas là.

Concernant les frégates de Taiwan, tout commence par le refus d'Alain Gomez, PDG de Thomson-CSF (Thalès depuis), de verser une somme de 160 millions de francs à une société écran suisse, Frontier AG (dissimulant Alfred Sirven et Christine Deviers-Joncour). Là aussi la procédure s'emballe.
On découvre que cette somme est dûe à Elf qui fit bénéficier à Thomson de son réseau et de ses lobbyistes à Taïwan (notamment les mystérieux Lily Liu et Andrew Wang) pour vendre ses six frégates.

Mis en cause, la lobbyiste Christine Deviers-Joncour qui a voulu « convaincre » le ministre des affaires étrangères, Roland Dumas. Ses moyens? Des cadeaux : les fameuses bottines à 11 000 francs, des statuettes à 330 000 francs, des repas au restaurant, ou l'usage d'un appartemment.
En cause aussi des intermédiaires tels qu'André Guelfi (Dédé la Sardine), Daniel Léandri, Alfred Sirven (150 millions d'euros ont transité sur ses comptes), André Tarallo.
Loïk Le Floch-Prigent avouera qu'une caisse noire existait au sein d'Elf afin de financer des partis politiques, et des candidats aux élections présidentielles françaises. Omar Bongo, président du Gabon, fut laissé tranquille lorsque l'investigation se dirigea vers ses comptes suisses, en faisant part de sa désapprobation à voir la France s'intéresser aux « affaires intérieures » de son pays.

Si les sanctions furent effectives (pour des détournements : achats de logements, villas, bijoux...règlement de divorces!), quelques unes n'ont pas été appliquées, des amendes n'ont pas été payées.

Notons en tout cas l'obstination d'Eva Joly, de Laurence Vichnievsky, de Renaud Van Ruymbeke, Dominique de Talencé et Xavière Simeoni.
Notons aussi le nombre étonnants de décès autour de cette affaire : Thierry Imbot (membre de la DGSE, qui selon son père voulait faire des révélations sur l'affaire, mort d'une chute en essayant de fermer ses volets...), Jacques Morisson (ex-cadre de Thomson, lui aussi tombé par sa fenêtre : suicide selon la police), Yin Ching-Feng (de la marine taïwanaise qui aurait voulu lui aussi faire des révélations, retrouvé mort dans l'eau), Jean-Claude Albessart (délégué de Thomson à Taïwan, victime d'un cancer foudroyant) ou Alfred Sirven (crise cardiaque).
Une affaire mystérieuse, et qui le restera : le dossier est partiellement protégé par le secret-défense.

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