vendredi 8 février 2008

Séquence souvenir : l'affaire du sang contaminé

« La justice aura traîné pendant onze ans les parties civiles dans les dédales d'un Palais de justice pour leur dire finalement qu'un dossier constitué de cent trente tomes, de multiples procès-verbaux, de multiples auditions, de multiples documents, ne mérite même pas d'être examiné! ». C'est par ces mots de colère que Maître François Honorat, un des avocats des victimes de l'affaire du sang contaminé, commente la décision de la Cour de cassation du 18 juin 2003.
Cette affaire aura mise en cause trente fonctionnaires, médecins et scientifiques, ainsi que trois ministres, mais au final il n'y aura eu que deux condamnations : celles du docteur Michel Garetta, président du centre national de transfusion sanguine (CNTS) et de son adjoint pour la recherche, Jean-Pierre Allain, qui accompliront respectivement deux ans et demi et un an de prison.

L'affaire du sang contaminé éclate le 25 avril 1991. C'est ce jour que la journaliste de « L'Evènement du jeudi » Anne-Marie Casteret publie un article sur l'affaire : dans cet article elle indique que le CNTS a continué à délivrer des lots de produits sanguins qu'il savait contaminé par le virus du SIDA et n'a rien fait pour disposer de produits plus sûr, plus tôt. Pour prouver ses propos elle relate les extraits d'un compte rendu de réunion du CNTS du 29 mai 1985. Dans celui-ci ils indiquent : « tous nos lots sont contaminés », mais il ne faut pas arrêter la distribution au risque de « graves conséquences financières ».

En cause dans cette affaire, le docteur Garetta. Ce médecin qui avait un salaire annuel de 1,2 million de francs, dispose aussi de stock-options et d'actions dans des sociétés-satellites créées autour du CNTS.
Dès 1983 les scientifiques se rendent compte qu'il suffit de chauffer le sang pour « tuer » le virus du SIDA. En mars 1983 est autorisé aux Etats Unis l'Hemophil T, premier produit chauffé; en 1984 lors du congrès de Munich le chauffage du sang est recommandé. Lorsqu'en 1984 un laboratoire américain propose à Michel Garetta un tel procédé, celui-ci refuse. De même que le CNTS refusera d'appliquer la méthode de chauffage mise en place par le Centre de transfusion sanguine de Lille, car ils étaient vexés qu'ils aient réussi avant eux...Idem lorsqu'on réclame d'importer du sang, notamment pour les hémophiles, au motif que ça entraînerait des fuites de devises. Le CNTS continue donc de répandre un sang qu'il sait contaminé.

Les politiques sont aussi mis en cause. Si le secrétaire d'Etat à la Santé, Edmond Hervé, décide que seuls les produits chauffés seront remboursés par la Sécurité sociale en juillet 1985, la prise d'effet de la décision est repoussée au mois d'octobre pour des raisons économiques. Bilan : 3 000 hémophiles traités, la moitié devient séropositive, deux cents sont contaminés par le SIDA et 165 en décèdent. Pourtant diverses études informaient du danger.
Par ailleurs une circulaire interne au CTS invite à écouler les lots de sang non chauffés en stock. Michel Garetta justifiera son choix au nom du patriotisme économique...D'autres directeurs de centre se refuse à des contrôles du sang, pour faire mieux que leur voisin en matière de productivité.
Le dépistage pourtant fortement conseillé, est peu appliqué. Lorsque le laboratoire Abbott, américain, met en place un système de dépistage, les autorités françaises refusent au nom de l'intérêt économique car elles attendent que l'Institut Pasteur finalise son propre test. Nouveaux retards lorsqu'on constate que le test américain coûte deux fois moins cher que le test français.

A la publication de l'article de « l'Evènement du jeudi » Michel Garetta dénonce un « lynchage médiatique ». Mais comme le disait Emile Zola, la vérité est en marche et rien ne pourra l'arrêter : le 22 octobre Michel Garetta est inculpé, tout comme Jacques Roux et Robert Netter pour non-assistance à personne en danger. Le 4 novembre c'est Jean-Pierre Allain qui est inculpé.
Le 20 décembre 1991 le tribunal administratif de Paris reconnaît la responsabilité de l'Etat dans la contamination d'un hémophile et fixe la période en cause : du 12 mars au 19 octobre 1985, le Conseil d'Etat étendra cette période au 22 novembre 1984 au 19 octobre 1985. Les trois ministres mis en cause pour complicité d'empoisonnement, Edmond Hervé, Georgina Dufoix et Laurent Fabius, sont jugés par la Cour de justice de la République mais seul Edmond Hervé est condamné pour « homicide et blessures involontaires » mais est dispensé de peine.
Pour ce qui est des trente hauts responsables mis en cause la Cour de cassation les relaxe le 18 juin 2003 car selon elle l'empoisonnement suppose l'intention de tuer et pas seulement le fait de savoir que le produit utilisé contient un virus mortel. Comme l'indique François Malye (auteur de l'article ayant inspiré cet article dans l'ouvrage « Histoire de la Cinquième République »), il n'y a empoisonnement qu'avec la ferme intention de tuer, et non si la lâcheté, l'incompétence et les pressions sont responsables de la mort. Une jurisprudence qui honore la France.

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