mardi 12 février 2008

Pétrole africain : détourner plus pour gagner plus

S'il y a bien un domaine dans lequel la France ne connaît pas de "rupture" c'est bien la Françafrique, à savoir le soutien et la participation de la France à l'affairisme et à des dictatures en Afrique. Déjà dans son ouvrage "la Françafrique" François-Xavier Verschave avait décrit de manière concrète ce système. Mais dans son ouvrage "Afrique, pillage à huis clos" le journaliste d'investigation Xavier Harel décrit les détournements de pétrole au Congo-Brazzaville. Une enquête pertinente démontrant le caractère organisé des détournements et la passivité face à ces agissements.

Le Congo-Brazzaville est un des principal producteur de pétrole africain. Malgré l'existence de la manne pétrolière les deux tiers des congolais vivent sous le seuil de pauvreté (soit moins de 1 dollar par jour), l'espérance de vie y est de 52 ans.
A l'origine de ce décalage : l'opacité des transactions financières en Afrique qui a attiré certains de nos meilleurs patrons (Bolloré, Bouygues...) : l'Afrique est en effet un véritable triangle des Bermudes financier.
Ainsi concernant le pétrole congolais tous les ans des milliards de dollars de revenus pétroliers s'évaporent mystérieusement.
Le Congo est dirigé par Denis Sassou Nguesso, patron de 47 entreprises qui se voient souvent attribuer des marchés publics. Afin de mieux décrire ce chef d'Etat surnommé par certains « le marxiste en Cardin », narrons une petite anecdote. En 2005 l'ONU a fêté ses 60 ans et a organisé un congrès dont un des thèmes principaux était la lutte contre l'extrême pauvreté. Denis Sassou Nguesso était logé dans un hôtel où sa suite lui coûtait 8 500 dollars par nuit. Au terme de ce séjour 81 000 dollars ont été versés rien que pour sa suite, 295 000 pour le reste de la délégation et 51 000 dollars rien que pour la réservation. La moitié de ces sommes a été acquittée en liquide. Denis Sassou Nguesso est l'archétype du chef d'Etat africain affairiste et multimillionnaire.
Le système de l'évaporation du pétrole est très bien organisé : sociétés écrans, détournements, pots-de-vin ou paradis fiscaux y interviennent.

Le Congo-Brazzaville étant un des pays les plus endettés du monde, le FMI peut lui accorder le statut de pays pauvre très endetté (PPTE) qui permet un allègement substantiel de sa dette. Afin d'être éligible à ce statut le FMI oblige à un audit des comptes de l'Etat, notamment une étude des ressources pétrolières du pays. Un cabinet indépendant, KPMG, est sélectionné. Après de nombreux retards et bâtons dans les roues, le Gouvernement publie une étude compliquée et incompréhensible au commun des mortels. Cependant KPMG constate qu'entre 2003 et 2005 près d'un milliard de dollars de revenus pétroliers ont été « oubliés » par les autorités congolaises dans leurs comptes!
Une étude plus précise du cas congolais prouve l'existence d'un véritable système de détournement des revenus du pétrole.
Dans ce système, la SNPC joue le rôle de boîte noire. A l'origine cette compagnie a été créé en 1998 dans le but de rendre au Congo-Brazzaville son autonomie pétrolière. Pourtant face aux créanciers du pays, ses dirigeants décident de créer des sociétés écrans afin d'éviter toute saisie du pétrole, toutes ces sociétés (Sphynx UK, Sphynx Bermuda, SNPC UK, AOGC...) sont domiciliées dans des paradis fiscaux et permettent de privatiser les revenus pétroliers. Les pratiques sont simples : conflits d'intérêt, plus values étonnantes (achat en-dessous du cours mondial, revente au prix normal), commissions vertigineuses. Notons qu'un des fils du Président Sassou Nguesso est directeur général adjoint d'une des sociétés écrans, l'AOGC.
Ces détournements permettent des enrichissements personnels mais aussi un manque à gagner fiscal pour l'Etat congolais, et donc pour ses services publics, car le pétrole représente 75 % des recettes fiscales de l'Etat.

Selon André Guelfi, un des intermédiaires d'Elf, « si la justice devait mettre en prison tous ceux qui ont touché de l'argent d'Elf, il n'y aurait plus grand monde en France pour former un gouvernement ».
Depuis l'indépendance du Congo en 1960, Elf (Elf Aquitaine devenue ensuite Total après l'absorbtion par TotalFina en 2000) a été à l'avant garde de l'affairisme par ses détournements, corruptions, ingérences politiques et achats d'armes.
Crée en 1965, cette entreprise fut instituée entre autres dans le but d'être un service de renseignement (son premier dirigeant était un ancien des services secrets), être un organe de diplomatie occulte, elle a fait aussi la promotion de certains dirigeants (Bongo, Biya).
Le système Elf comportait trois étages.
Elf payait ainsi des frais de reconnaissance ou des « bonus » pour exploiter un territoire. Dans les faits ceux-ci donnaient lieu à de la corruption voire des détournements : ainsi Denis Sassou Nguesso a bénéficié de nombreux bonus.
Les « abonnements » qui sont des commissions versées sur le compte personnel de chefs d'Etat africains pour chaque baril vendu! Selon le juge Van Ruymbeke ces sommes atteignent une soixantaine de millions de dollars par an.
Le « préfinancement » est un prêt financier en contre partie de droits sur des barils de pétrole encore enfouis.
Grâce à des montages financiers astucieux, des bénéfices importants pouvaient être réalisés par un jeu de taux d'intérêt avec la complicité des banques suisses, de nombreux intermédiaires se voyaient gratifiés.
En outre pour compliquer le tout Elf avait différentes filiales : Elf Aquitaine, Elf Congo, Elf Gabon, Elf Trading, FIBA. L'entremêlement des liens entre ces filiales étant ce qu'il est Elf trichait sur la quantité et la qualité du pétrole afin de mentir sur le prix du pétrole et avait quelques cargaisons fantômes toujours pour dissimuler une part du pétrole des comptabilités officielles.
Retenons, simple information, qu'Elf Afrique fut longtemps dirigée par André Tarrallo, ami de Charles Pasqua.

Mais Elf n'est pas seule à entrer dans le "business".
Il y a tout d'abord de l'entreprise Total.
Au retour au pouvoir de Denis Sassou Nguesso celui-ci souhaite revenir sur une transaction réalisée entre son prédecesseur et le Groupe Total. Après près de cinq ans de bataille judiciaire un arrangement est convenu, Total cédant ainsi à l'Etat un gisement pour un franc symbolique. Cependant ce gisement n'est pas confié à l'Etat mais à une entreprise privée, Likouala SA, contrôlée par une entreprise résidant dans les Iles Vierges (et dont l'administrateur est un salarié de...Total), financée par BNP Paribas.
Selon l'ONG Save the children Total se classerait 21ème sur 25 dans le classement des compagnies pétrolières les plus transparentes au monde.

Il y a aussi de BNP Paribas.
Pour illustrer le rôle de cette banque, première au monde dans le financement des matières premières, il suffit de narrer le règlement en 2002 d'une dette vis-à-vis du Zaïre. Afin de la régler le Congo-Brazzaville fait intervenir huit entreprises domiciliés dans six pays différents dont deux paradis fiscaux, BNP accorde 45 millions de dollars en contre partie d'une rente sur le pétrole. La participation d'une quinzaine d'intervenants permet d'importantes commissions et des détournements. Une plainte a été déposée par un fond d'investissement américain pour détournement. La facture promet d'être plus importante que pour l'affaire Executive life.
BNP Paribas a ainsi prêté des milliards de dollars contre la rente pétrolière. Dans ses montages financiers apparaissent les sociétés écrans liées au détournement du pétrole congolais. Ces prêts sont on ne peut plus avantageux : la BNP participe à l'évaporation des revenus du pétrole, bénéficie de frais et de commissions liées aux transactions ainsi que d'intérêts.

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