mardi 16 octobre 2007

APD : aide publique au détournement?

D'après l'association Survie 5% seulement de l'aide publique au développement (APD) servirait à la lutte contre la pauvreté dans le Tiers Monde. Au-delà de ce constat ubuesque il convient de s'interroger sur l'usage des 95% restants.
Selon Erik Orsenna "tout le monde sait que les partis politiques sont financés par des détournements de trafics via l'Afrique. L'Afrique sert à blanchir l'argent des partis politiques", citons aussi Sylvie Brunel : "tout se passe comme si l'argent de l'aide publique était trop utile à la Realpolitik pour servir à lutter contre la pauvreté".

L'association Survie s'en est rendue compte : au cours des années 80 elle s'est battue pour l'augmentation de l'APD et de sa part consacrée à la lutte contre la pauvreté. Face aux nombreux obstacles rencontrés, aux menaces d'exclusion exercés contre des élus en cas de reprise de leurs initiatives, malgré des campagnes médiatiques visant à l'atteinte de leurs objectifs et la présence de dirigeants politiques socialistes et donc humanistes au pouvoir, l'association a été amenée à réfléchir sur le système de l'APD, système on ne peut plus "crozemarien".
Certains parlementaires leur ont indiqué que voter de telles mesures dérangerait l'opacité instituée, gênerait les intérêts depuis longtemps institués, des connexions politico-affairistes déguisés en "intérêt de la France". Dès lors au cours des années 90 l'association Survie s'est intéressée à l'opacité et à l'affairisme guidant les relations entre la France et les pays d'Afrique francophone et s'est rendue compte que l'APD consiste, comme le disait José Artur "à prendre l'argent des pauvres des pays riches pour le donner aux riches des pays pauvres". Notons aussi que la France aide principalement les pays nantis en matières premières, notamment en pétrole.

L'APD - 6 milliards d'euros annuels - se décompose en trois grands postes :
- l'aide hors projet aussi appelée aide à l'ajustement structurel ou aide à la balance des paiements.
Dans son shéma le plus simpliste une aide directe est accordée à un pays africain. Sitôt la somme versée une grande partie ou même la totalité remplit des valises de billets CFA, emmenés par avions à Genève ou dans une autre place financière; les billets neufs sont convertis en euros et le magot est partagé avec le décideur politique français et s'en va dans des coffres sûrs ou des paradis fiscaux. Selon Antoine Glaser et Stephen Smith un cadre de la Banque de France informait le Président sénégalais, le Trésor Public et la cellule africaine de l'Elysée des principaux porteurs de valises à billets. Il a été constaté une très forte augmentation des aides hors projets dans l'année précédant des échéances électorales importantes en France, mais il ne s'agit probablement que d'un pur hasard.
Lorsqu'un pays est riche en matières premières on passe à un jeu à trois acteurs avec pour intermédiaire des multinationales françaises (Elf notamment) ou des entreprises à la main de dictateurs africains (par exemple la société Fertilizer Corporation aux mains du feu Eyadéma, gérant des phosphates, avec ses 47 comptes bancaires en Suisse qui a ainsi vu transiter près de 5 milliards d'euros de ces aides).
Selon Antoine Glaser et Stephen Smith cette manne n'était pas vaine puisque les taux de retours vers l'ancienne métropole étaient importants.

- l'aide-projet.
Elle suppose deux décideurs publics (français et africains) et une entreprise française bénéficiaire de la commande. Le contribuable français jouant le rôle de tiers payant ou plus sincèrement de vache à lait de ce système.
Elle consiste en une aide directe pour des projets dits de développement. Ceux-ci, que ce soit en Afrique ou en France, ne font preuve d'aucuns contrôles d'utilité publique, de mise en concurrence (au nom de l'amitié franco-africaine), donnent lieu à des surfacturations et à des réévaluations importantes et à la recherche quasi-exclusive de commissions occultes. Même un homme comme Jean Pierre Pernaud en serait choqué : citons l'exemple d'une université construite par ce biais mais inaccessible aux étudiants ou d'une centrale téléphonique construite malgré l'absence de réseau téléphonique...les projets sont souvent lents à aboutir, suffisamment pour que les détournements éventuels de fonds soient prescrits judiciairement.
Ce système est d'une transparence inégalable : ses budgets sont divisés entre plusieurs Ministères, ne sont que peu contrôlés (la Cour des Comptes s'est décidée à essayer de les contrôler que très récemment; le Parlement ne contrôle qu'un septième de ces crédits). Afin de le représenter auprès de la Caisse Française de Développement, le Parlement a ainsi délégué le très intègre et très vertueux Gaston Flosse - qui à Tahiti confondait tant patrimoine public et patrimoine privé, cf notre dossier "Gaston Flosse, l'homme qui voulait être roi"; son suppléant était Jean-Pierre Thomas, trésorier du Parti Républicain qui s'était caractérisé par ses comptes suisses, luxembourgeois ou panaméens, greffés de commissions aux marchés publics.
Notons qu'en 1993 Charles Pasqua a permis de comptabiliser la vente d'armes dans l'aide au développement!

- les allègements de la dette.
Il s'agit du rééchelonnement de la dette, de la baisse de ses intérêts, des différés de remboursement. Si ces mesures sont louables, les contre-parties sont loins d'être inexistantes car des rentes sur des matières premières (cacao, phosphate, pétrole, bois, café) sont ainsi accordées. Le Congo-Brazzaville a ainsi prévendu son pétrole pour de nombreuses années. Ces rentes ont été utilisées au financement de partis politiques de gouvernement français. L'utilisation de marchés parallèles permet aussi la disparition inexpliquée d'or, de diamants ou de cobalt dans le même but.
Mais une étude plus poussée de la dette des Etats africains démontre une corrélation entre la dette de ceux-ci et la fortune de leurs chefs d'Etats (Félix Houphouët-Boigny ou le maréchal Mobutu étaient ainsi milliardaires). Face à cette étrange corrélation l'allègement de la dette sert d'amnistie à des détournements. Elle permet aussi des délits d'initiés grâce aux spéculations sur la dette. Certains chefs d'Etats favorisent l'insolvabilité de leur Etat pour favoriser ces transactions financières opaques.

En conclusion l'APD n'est conçue par personne, organisée par personne, supervisée par personne. L'Afrique est un eldorado pour le délinquant financier : beaucoup de transactions se font en cash, le franc CFA demeure dans le système financier international, l'Afrique a peu d'instituts bancaires crédibles ou de procédures fiables de certification des comptes des entreprises.
Une question se pose : quand est-ce qu'un audit sera-t'il réalisé sur la destination des prêts publics au développement (6 milliards d'euros)?

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