mercredi 19 décembre 2007

Contribuables : pour Noël faites un don au Crédit Lyonnais (dit "LCL")

« Demandez plus à votre argent » proclame la campagne publicitaire actuelle du Crédit Lyonnais. Si on revient un instant sur le scandale du Crédit Lyonnais, le slogan « Demandons plus au contribuable » aurait été plus pertinent : en effet de sa quasi-faillite en 1993, évitée grâce à la générosité et à la naïveté du contribuable, à l'affaire Executive life, le Crédit Lyonnais a su vampiriser les impôts des gentils français.
Créée en 1863, celle-ci devint rapidement la première banque mondiale, et fut nationalisée en 1946. Un des tournants majeurs fut la nomination à sa tête de Jean-Yves Haberer en 1988. Si celui-ci a un CV impeccable (énarque, ex-inspecteur des finances, ex-directeur du Trésor, ex-membre du cabinet de Michel Debré), il est surtout animé d'une ambition démesurée.

Et c'est là la première cause de la faillite : déçu d'avoir été chassé de la direction de Paribas par Edouard Balladur en 1986, Jean-Yves Haberer a une soif de revanche. A la tête d'une banque comptant huit millions de clients, et ayant un bilan de 300 milliards d'euros, il a là l'instrument idéal pour satisfaire ses ambitions.
Partant de là le Crédit Lyonnais fait preuve d'une grande agressivité commerciale. Elle fait affaire avec des grandes entreprises : Aérospatiale, Usinor, Bouygues, mais surtout aide des jeunes lions du capitalisme français : Bolloré, Pinault, Tapie, Naouri...
Cette agressivité vise aussi l'international : rachats de banques à l'étranger, avec un coût financier (4 milliards d'euros), et commercial (difficulté de contrôles de ces activités, ainsi un escroc, Giancarlo Paretti, engage la banque dans une participation dans la MGM). Jean-Yves Haberer déclare ainsi : « avec 890 implantations en Europe, nous sommes aujourd'hui deux à trois fois plus gros que nos concurrents directs, la Deutsche Bank et la Barclay's, et nous disposons de plus de points de vente que toutes les banques françaises réunies ».
Dans les années 90, le Crédit Lyonnais a bien le pouvoir de dire oui comme le dit son slogan de l'époque.

Oui, mais à quel prix car le deuxième motif de la faillite de la banque est qu'elle s 'engage dans des affaires, sans en contrôler les risques. Les changements de présidents – six entre 1974 et 1988 – font qu'il n'y a plus d'équipe dirigeante, les divisions et les luttes internes gangrènent la banque, chaque service engage la banque sans en parler. Ainsi elle ignore les activités de Jean-François Hénin, patron de sa filiale Altus. Tout comme elle ignore en partie l'activité de sa filiale hollandaise qui investit dans la MGM.
Toutes les procédures de contrôle et d'évaluation des risques ont disparu. Elle accorde tout à tout le monde, avec des échecs retentissants (Tapie).
Il y eut aussi quelques erreurs de stratégies : le choix de la banquindustrie, à savoir une participation aux affaires de certaines entreprises, alors que l'émergence des marchés financiers permettra aux entreprises de s'auto-financer par ce biais, et que la banque ne fera des sélections de risques que très limitées; l'investissement massif dans l'immobilier qui connaitra un krach dans les années 90, fut aussi une erreur, mais elle fut commune à toutes les banques.

Troisième motif de la faillite du Crédit Lyonnais l'absence de contrôles.
Absence de contrôle tout d'abord de l'Etat : le concept d'alors est l'autonomie de gestion des entreprises publiques, et l'Etat pourtant actionnaire ne contrôle rien, du fait tout d'abord de la confiance de Pierre Bérégovoy à l'égard de Jean-Yves Haberer, du fait aussi du corporatisme des hauts fonctionnaires, tous issus de l'Inspection des Finances, qui ne peuvent imaginer la défaillance d'un des leurs. Idem pour les commissaires aux comptes, qui sont censés contrôlés les comptes, tout en étant rémunérés par les entreprises qu'ils contrôlent, dans un environnement concurrentiel...des contrôles donc a minima.
Dès lors il manquerait plus d'un milliard d'euros de provisions pour couvrir les sinistres en 1993. Et effectivement l'accumulation de sinistres (International bankers, SDBO, Pelège, Tapie, MGM...) fera tanguer le bateau fragile...

C'est alors la réalisation du deuxième scandale du Crédit Lyonnais, le premier étant le caractère aventurier de ses investissements alors qu'il s'agit d'une entreprise publique : ça sera au contribuable de payer l'addition! Pour des motifs tant nationaux qu'internationaux, l'Etat décide de soutenir la banque qui accumule des milliards de pertes, on décide selon la formule connue de nationaliser les pertes et de privatiser les gains : une structure autonome est créée, le Consortium de réalisation (CDR), qui hérite de tous les mauvais actifs, aux frais du contribuable, le Crédit Lyonnais est lui privatisé en 1999, débarrassé de ses dettes qu'il a transmis aux contribuables. Avant d'être racheté par le Crédit Agricole.

Le troisième scandale, peu connu, du Crédit Lyonnais sera quant à lui l'enrichissement personnel de certains entrepreneurs : les participations (sur fonds publics) du Crédit Lyonnais auront ainsi aidé au développement de la carrière de certains (Pinault, Bolloré, Arnault, Naouri...); par ailleurs la CDR devant se débarrasser de ses actifs, rapidement on assiste à un véritable bradage : des biens vendus à moitié prix, pour le bonheur de certains (Naouri : 67 millions de plus values..), des moins values pour l'Etat (ex 300 millions d'euros pour un rachat par François Pinault), au final le malheur du Crédit Lyonnais fera le bonheur des grands noms du capitalisme français.
Dans l'autre scandale du Crédit Lyonnais, l'affaire Executive Life, l'Etat se retrouve à payer 440 millions d'euros d'amendes pour un rachat frauduleux réalisé aux Etats Unis, impliquant Jean Peyrelevade et François Pinault. L'Etat prendra aussi en charge les amendes imposées à Artémis, holding personnelle de François Pinault.

Pour finir cette histoire épique le 5 mai 1996, le siège social est victime (il y a plusieurs foyers...) d'un incendie. Notons qu'avec quelques jours de décalage, les archives de la banque, entreposées dans un local au Havre, seront aussi détruit par les flammes...le comble de la malchance?

Au terme de cette aventure, 50 milliards d'euros de factures pour le contribuable, deux condamnations seulement : Jean-Yves Haberer et François Gille, condamnés avec sursis. Les deux arbres qui cachent la forêt, ou plutôt les deux bouc-émissaires qui cachent le système.
En 1994, le slogan publicitaire du Crédit Lyonnais, devenu depuis LCL, était : « votre banque vous doit des comptes ». Treize ans plus tard, le slogan est toujours d'actualité.

Sources : le Crazy Lyonnais (Eric Leser), Argent public, fortunes privées (Olivier Toscer), Histoire secrète de la Vème République (article par Martine Orange)

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